La joie d’être séminariste.

 

« Oui il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! » (Ps 132) Lorsque  je relis cette exultation tirée des psaumes, tout en priant la liturgie des heures, j’y trouve toujours un précieux rappel. Non pas sur le fait que le séminaire soit un paradis terrestre où tous vivent déjà comme des anges dans le ciel, mais plus profondément sur le fait que le chemin que nous y parcourons est le lieu d’une joie forte et durable, une joie que nul ne peut nous arracher. Tout séminariste, le jour où il choisit de changer de vie et d’orienter tout son être à la suite du Christ, en acceptant de quitter sa famille, ses amis, son travail, sa maison, afin de se mettre à l’écoute de l’appel particulier de son Créateur, pose ce choix en sachant que les difficultés et les obstacles qui ont parsemé sa route jusque-là ne disparaîtront pas tous, d’un coup de baguette magique. Ses souffrances, ses épreuves ou ses imperfections, qu’elles soient physiques ou spirituelles, affectives ou intellectuelles, psychologiques, morales ou sociales, ne seront pas immédiatement guéries ou corrigées, mais elles seront dépassées et transfigurées par une joie profonde. La joie d’être séminariste, d’être formé en vue du sacerdoce diocésain, n’est pas un argument de vente, ni une belle envolée lyrique pour rassurer les parents un peu inquiets ou les amis sceptiques. Elle est un don du Christ. Un fruit de l’Esprit-Saint. Un témoignage de l’actualité révolutionnaire de l’Evangile. Cette joie qui m’est donnée, elle a une raison d’être : joie de suivre le Christ librement à son appel ; joie d’apprendre à l’aimer de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit et de toute ma force, dans cette perspective si vertigineuse et si belle du sacerdoce.

Après trois années d’études en lettres et sciences politiques, et quelques expériences dans le domaine de la communication et du social, entrer en année de discernement puis en formation au séminaire d’Ars fut pour moi une expérience de libération bienfaisante. Plus question de reléguer ces interrogations sur ma vocation et sur la volonté de Dieu derrière les travaux dirigés, les examens, les réunions ou les activités sociales. Je pus enfin « prendre le temps » de marcher avec lui dans le silence pour écouter sa voix. L’Eglise prie chaque jour depuis vingt siècles pour que, générations après générations, son Epoux, le Christ Jésus, lui donne les prêtres dont elle a besoin. Des prêtres qu’il a appelés et à qui il a fait un jour ou l’autre entendre sa voix. Tout séminariste ne devient pas systématiquement prêtre, soyons-en conscient. Les appels sont multiples et le rôle du séminariste, tout en vivant consciencieusement sa formation, est de rester à l’écoute de la voix de l’Epoux, quoi qu’il lui dise. Dans ce temps de discernement, la figure de saint Jean-Baptiste fut pour moi jusqu’à maintenant une référence : « Quant à l’ami de l’époux – nous dit-il dans l’Evangile – il se tient là, il entend la voix de l’époux et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. » (Jn 3, 29) Ce temps de formation est aussi pour moi un temps où je me tiens là, à l’écoute de cette voix qui fait toute ma joie, dans une disponibilité totale à la vocation qui m’est confiée, au projet divin, projet d’Amour, que Dieu a conçu pour moi en me donnant la vie. Cette joie parfaite, elle est le don que le Seigneur offre à celui qui tend l’oreille dans le silence de son cœur pour discerner l’appel du Seigneur et tenter d’y répondre avec générosité, malgré toutes les incertitudes et les inconnues qu’implique nécessairement ce saut dans le vide, ce pur acte de foi.

Mais écouter l’appel du Seigneur, c’est toujours d’abord comprendre qu’il nous veut saints, unis à Lui quoi qu’il advienne. Et cette sainteté qui est pour toute personne humaine source de la joie la plus pure, elle nous vient d’abord de la conformité au commandement du Seigneur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » (Mc 12, 30) Au cours de mes années au séminaire, j’ai pu comprendre que notre mode de vie était en quelque sorte calqué sur les quatre dimensions de ce commandement divin. Notre formation pastorale qui nous pousse à partir annoncer le Christ et servir son Eglise dans les paroisses, en catéchisant dans les écoles, en participant à des pèlerinages ou en organisant des camps, est faite pour nous donner un cœur de pasteur, doux et humble comme celui du Christ. Largement ouvert à tous, courageux et miséricordieux, magnanime et fraternel. Notre formation spirituelle vient élever notre âme et l’unir au Seigneur par la fréquentation assidue des sacrements, à travers l’oraison quotidienne, la prière de l’office seul ou en communauté, la prière mariale mais surtout une vie centrée sur l’eucharistie célébrée et adorée. Notre formation intellectuelle qui fait alterner cours et travaux personnels en philosophie, théologie, liturgie ou étude des saintes Ecritures, est d’une richesse particulière pour concentrer notre esprit sur la grandeur du mystère divin, apprenant à le connaître pour mieux l’aimer et le faire aimer. Enfin bien plus concrètement par une formation humaine au quotidien, une vie communautaire et fraternelle forte, il nous est donné de faire l’expérience d’une charité jusqu’au bout de nos forces : à travers les sports collectifs, les nombreux services communautaires, les missions confiées à chacun, mais aussi dans l’exigence de la patience envers le frère et du pardon, bref de l’amour du prochain.

Pouvoir consacrer chaque instant du quotidien à vivre cet appel amoureux du Seigneur, qui résonne depuis des milliers d’années dans le cœur de son peuple, est une grâce sans prix. Tout en avançant petit à petit dans cette formation pour les futurs prêtres, je prends conscience de la chance immense qui est la nôtre, de ce qu’elle implique, et de cette importance toujours si grande de prier : prier pour les vocations, prier pour les séminaristes, prier pour les prêtres. Et rendre grâces dès maintenant pour les bienfaits dont il nous comble. « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps 115)

Geoffroy D